(Tables) Le P’tit Troquet à Godinne : il n’a de petit que le nom !

Souvent, quand on dit « restaurant », on pense « grande ville » : Paris, New-York, Bruxelles, Tokyo, Londres, Rome… On oublie que c’est le terroir et donc la province, qui fait la pluie et le beau temps, le bonheur ou la déception sur bien des tables, pour ne pas dire toutes. Légumes, viandes, fromages, vins, eaux, même le blé pour le pain… tout en est issu et des chefs ont parfois l’excellente idée d’y réimporter leur belle table, leur sens de la cuisine, de la chaleur humaine et le talent qui vont à nouveau les rapprocher de la terre. C’est exactement le cas de Gaëtan Colin et de son P’tit Troquet, délicatement posé en bord de Meuse, dans le namurois qu’on oublie souvent. La région est belle, riche en produits de qualité et le chef-entrepreneur au parcours déjà long, a décidé de déposer ses valises et sa vie juste au bord du fleuve.

Les bords de Meuse en région namuroise sont magnifiques ! Falaises, carrières de pierre bleue ou du pays, magnifiques maisons haut-bourgeoises et manoirs du 18ème siècle y sont légion, les yeux ne savent plus où se porter tant il y en a. Au fil de l’eau, ça rappelle l’époque glorieuse du charbon, à laquelle la Wallonie était de loin la région la plus riche du pays. De nouveaux propriétaires passionnés ont redonné leur lustre d’antan à toutes ces demeures et rendu à la vallée sa splendeur. À moins d’une heure de route de Bruxelles, il faut aller (re)découvrir cette très belle région qui ne demande qu’à vous ouvrir les bras. Restaurants, hostelleries, maisons d’hôtes, canards sauvages, barques et nature superbe vous y attendent, prêts à rendre votre séjour inoubliable, quel que soit sa durée. Une chose est sûre, vous y dégusterez autant des yeux que des papilles… C’est ce que nous avons fait 24 heures de pause… et nous avons donc dîné au P’tit Troquet, à Godinne.

Une solide expérience déposée en bord de fleuve il y a quatre mois.

Présente-t-on encore Gaëtan Colin ? Oui, sans doute… mais pas pour son passé déjà riche et que tout le monde connaît dans le petit monde de la gastronomie belge. Le Jaloa, une étoile Michelin, titre du Jeune de Demain par Gault et Millau en 2011 et 16/20… vous verrez son image de chef dynamique et d’entrepreneur dans la vidéo ci-dessus. Mais, comme disait l’autre… ça, c’était avant ! Oui, parce qu’aujourd’hui Gaëtan a fui la ville et son agitation, pour s’occuper avec son épouse Isabelle (que nous vous présenterons plus longuement demain) de sa vie de famille et de la superbe maison d’hôtes le Richmond, située à cinquante mètres du restaurant. En papotant tranquillement avec lui, dans la belle salle des petits déjeuners du Richmond, on le sent heureux et serein. S’il continue à veiller au destin du restaurant qu’il partage avec son frère à Kraainem et garde un œil du côté de Tarragone en Catalogne où il a conservé une affaire, il s’occupe surtout désormais des siens. Le petit dernier m’a tapé des « give me five » à gogo, il adore ça ! Au passage Gaëtan cajole son énorme berger des Pyrénées ou la petite chatte du voisin, qui a élu domicile ici… On le sent serein et il me raconte aussi sa passion de la transmission. Il enseigne dans une école CEFA (Centre d’Éducation et de Formation en Alternance) et on sent que ça le rend réellement fier et heureux. Enseigner, partager, transmettre ses savoirs à ceux qui feront la restauration de demain le passionne et reflète bien la générosité qu’on ressent dans son sourire ou sa poignée de main. Depuis quatre mois, il préside aussi aux destinées du P’tit Troquet, un restaurant simple, cosy et où l’accueil de Quentin rendrait joyeux un croque-mort… Dans le respect des produits, des choix aussi locaux que possible (dépendant des saisons) et de l’expérience gastronomique de notre hôte. Comme il l’a fait avec nous… nous vous y emmenons donc !

Des entrées qui virevoltent par-dessus l’idée qu’on se fait d’un troquet.

En apéritif, nous avons découvert avec plaisir une coupe de Roteuse de Landra… vin pétillant brut, frais et très subtilement fruité. Une jolie trouvaille datée 2016, produite de manière naturelle dans le Ventoux au domaine du Château Landra. Un superbe (et délicieux) petit pain artisanal entier est dressé à côté d’un beurre fermier et d’un bocal de préparation à base d’artichaut et d’une « mayonnaise » maison légère… ça promet. Miguel, qui m’accompagne pour cette découverte dans le namurois, a craqué pour le Foie Gras poêlé, lait de poule au sésame, granny et betterave (15 €). Et il a eu raison ! Ne craignez pas que la quantité soit chiche… ce n’est qu’une vision de l’esprit et surtout, en cuisine on sait ce qui suivra. Voilà une entrée d’une subtilité étonnante : écume de lait, sauce crémée aérienne au parfum de sésame, qui apporte une légère saveur torréfiée. Ça parfume chaque bouchée du foie gras parfaitement cuit (légèrement croustillant et très moelleux à cœur), c’est un plaisir quasi sensuel. La légère acidité de la Granny et d’élégantes fines lamelles de betterave équilibrent l’ensemble. C’est d’une légèreté incroyable, quand on connaît la puissance en bouche d’un foie gras poêlé habituellement. Rien à dire… on reconnaît la patte étoilée de Gaëtan Colin, indubitablement !

Pour ma part, j’ai jeté mon dévolu sur les escargots ! Ben… on est à côté Namur ou on n’y est pas ? Je ne pouvais donc en aucun cas passer outre cette spécialité régionale fort réputée et emblématique. Même s’ils sont moins gros que leurs cousins bourguignons, ils ont une saveur nettement plus marquée. En tout cas, mes Petit-Gris de Namur persillés, lard fumé et crème de Vouvray (15 €) étaient… comment dire ? Un enchantement pour les papilles ! Si l’assiette ne multiplie pas de chichis, le dressage est élégant et surtout elle dégage un parfum à tomber, ou plutôt à s’envoler au paradis. Je n’ai pas compté, mais il y avait sans doute une bonne douzaine d’escargots, cuits exactement comme il faut, fermes mais pas durs ni caoutchouteux. Les lardons étaient savoureux et moelleux, le fumé ne supplantant pas la saveur du petit gastéropode. Comme pour venir équilibrer leur couple, la sauce au Vouvray laissait leur juste place aux arômes du vin blanc et à la subtile acidité légèrement ferrugineuse du persil. Ce fut ma première entrée aux escargots digne du qualificatif « gastronomique » et toute en élégance.

Pour les grosses pièces, nous avons joué à la fois la tradition et la création.

Pour rassurer ceux qui n’apprécieraient que la belle pièce de viande rouge et les frites-salades… Miguel a choisi le Cuberoll d’Irlande rôti, salade, frites (20€) et sauce béarnaise maison (4 €). Cette viande savoureuse n’est produite qu’avec des bœufs élevés dans les plaines et pâturages irlandais et mérite sa réputation. Ici, le morceau est particulièrement tendre et la cuisson impeccable pour ceux qui apprécient la viande bleue, mais néanmoins chaude. Sa saveur est parfumée, sans être trop corsée, procurant un réel plaisir à Miguel, très amateur. Les frites sont maison et parfaitement réalisées, croustillantes et dorées à souhait. Quant à la béarnaise, elle est du niveau que j’attendais dans la maison. Superbement épaisse et crémeuse, lisse et pas liquide ou tranchée comme c’est trop souvent le cas des sauces (même maison) réchauffées en dernière minute, elle apporte à la viande son velouté, dont les saveurs d’estragon aiguisent et révèlent de nouvelles subtilités. C’est un plat traditionnel, mais exécuté de main de maître.

Moi, j’ai plutôt opté pour un poisson, vous savez à quel point je les apprécie. J’ai donc longuement hésité avec la seiche qui me tentait fort ainsi que son caramel de sésame… mais, j’ai finalement opté pour le Dos de Cabillaud, chorizo, aubergines, courgettes et poivrons (20 €). Je vous le dis… faites comme moi, c’est une véritable tuerie et ce plat vaut une étoile ou je n’y connais plus rien ! Voilà un plat équilibré, savoureux, riches en textures, senteurs et saveurs, dans laquelle chaque produit est respecté comme rarement. Chacun y trouve à la fois sa juste place et le petit complément d’âme qu’il peut amener aux autres… c’est une véritable prouesse de funambule. Dès qu’elle arrive, l’assiette séduit par l’élégance simple de son dressage, ses proportions justes et ses couleurs. Mais quand y plonge… c’est de la volupté pure. Le dos de cabillaud est moelleux, tendre et très goûteux, fort généreux aussi… les légumes sont exceptionnels et je pèse mes mots. Je n’ai que rarement gouté des poivrons à ce point parfumés et identifiables, et même la courgette (souvent fade) chante sa partition avec justesse. L’équilibre végétal de ce plat frise la perfection absolue ! De plus, quand la sauce, qui cache des effluves et des saveurs de chorizo, vient envelopper une bouchée de son velours, c’est tout simplement l’extase. Vous pensez que j’exagère ? Pas du tout… et je signe chaque mot avec enthousiasme, tant cette assiette m’a procuré de plaisir. Je ne pourrais en dire plus sans jouer au technicien et ce n’est vraiment pas ce qu’appelle ce dos de cabillaud qui sera difficile désormais à détrôner, non pas à mes yeux, mais bien à mes papilles. De la poésie pure…

Des fromages locaux et une Dame blanche maison pour finir…

Ne voulant en aucun cas me jeter sur du sucré après le choc que je venais de vivre, j’ai porté mon choix sur quelques fromages régionaux pour terminer en beauté ce dîner… La bûche de chèvre cendrée savoureuse pas trop puissante, mais aussi la Divine Valentine, m’ont particulièrement plu. Mais la richesse et la variété du plateau prouve bien que la Belgique n’a rien à envier à d’autre pays question fromages. Ce n’était pas une découverte pour moi, mais une simple et agréable confirmation. D’ailleurs, chaque région de notre petit pays chante sa mélodie en la matière, sans avoir à rougir des ténors français… Une fin de dîner douce et parfaite.

Miguel lui, a choisi la Dame Blanche maison… Il n’y a pas grand-chose à en dire, c’était impeccable et plein de parfum. Ceux de la vanille dans une glace fort bien réalisée et du chocolat noir fondu, puissant mais pas trop sucré. La crème fraîche était épaisse et subtile, tandis que des éclats de chocolats apportaient le petit croquant qu’on apprécie tant dans un dessert glacé.

Pour conclure, nous avons fini la soirée avec un bon café serré et je n’ai pas été surpris que mon test habituel de l’Irish Coffee soit parfaitement réussi, je venais de goûter la crème fraîche de Miguel… Je ne peux que vous conseiller de quitter les rues trop battues de Bruxelles et d’aller faire un petit tour du côté de la Meuse, pour aller découvrir le P’tit Troquet, qui n’en a que le nom. Ici, c’est une table gastronomique au prix d’une brasserie… ce qui n’est pas un défaut, loin de là ! Le service parfait, souriant et plein d’humour de Quentin est à souligner, car il concourt à passer une soirée harmonieuse. Il mériterait aussi son étoile… comme la table qui pourrait bien se retrouver rapidement récompensée. Mais, avec Gaëtan Colin à la barre… comment douter que ce petit navire en bord de Meuse arrivera à bon port ? Il ne nous restait plus qu’à parcourir cinquante mètres le long du chemin de halage, pour respirer un peu l’air doux de ce premier soir printanier et rejoindre doucement notre chambre au Richmond (que vous découvrirez demain) … après une soirée parfaite en tous points.

Notation : 4 Marcus
(1 = moyen – 2 = correct – 3 = Table de qualité – 4 = table de grande qualité – 5 = Table d’exception).

Site officiel : www.le-ptit-troquet.be

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