Cela fera un siècle dans un peu plus de deux ans, que les Armes de Bruxelles représentent le meilleur des grandes brasseries bruxelloises de luxe. Comme tous les amoureux de cette maison de légende créée par la famille Veulemans, nous allons nous empresser d’oublier les quelques années passées entre les mains d’une fratrie qui a réussi à mettre en faillite douze des plus prestigieuses tables de la capitale, pour nous concentrer sur le bonheur de voir les portes à nouveau ouvertes aux amateurs de gastronomie bruxelloise et de plats dits de brasserie, mais de qualité. C’est Rudy Vanlancker, à la tête de la famille qui possède et dirige depuis 125 ans la célèbre maison Chez Léon 1893 (située juste en face d’ailleurs), qui a repris les Armes… et il y a mis du cœur ! Soutenu dès la présentation de son projet par les syndicats (c’est du jamais vu) des travaux titanesques ont été entrepris, pour rendre tout son lustre à cette légende de l’Îlot Sacré. C’est fort simple : tout a été refait de la cuisine aux toilettes ! Vous ne risquez pas de constater de grands changements par rapport à la belle époque, puisque tout a été reproduit à l’identique : peintures, escaliers, boiseries, marbres… tout, je vous dis. Nous vous avions fait visiter le chantier cet été en exclusivité, puis vous avions fait partager la grande soirée de la réouverture officielle le 11 octobre. Cette fois, nous vous emmenons à table et allons tenter de vous faire partager tout notre plaisir. Enfin, plus exactement tous nos plaisirs car ici il faut regarder, écouter, savourer et profiter d’un voyage dans le temps. Un vrai bonheur…
Vestes blanches, argenterie, boiseries… un saut dans la Belle Époque.
Dès qu’on entre aux Armes de Bruxelles, on a l’impression de faire un vrai voyage dans le passé, à une agréable époque que nous n’avons pas connue, mais dont nous pouvons presque percevoir les échos en écoutant les murs et la salle nous murmurer leur histoire au creux de l’oreille. On imagine les élégantes calèches dans les petites rues étroites de l’Îlot Sacré, les sabots des chevaux sur le pavé millénaire, les cornes des rarissimes automobiles, les dames en crinoline et les messieurs en Gibus… Ils viennent dîner avant d’aller à l’opéra de la Monnaie ou sont déjà touristes dans la ville et ont découvert la Grand-Place en venant, identique à ce qu’elle est toujours aujourd’hui, c’est-à-dire splendide. On peut presque sentir les volutes de cigare des messieurs et le parfum capiteux des élégantes… Un siècle, ce n’est pas grand-chose et c’est beaucoup à la fois. Eh bien en poussant en 2018 le vénérable tourniquet de l’entrée, on a réellement la sensation de retourner y faire un tour, tout en élégance et en confort… Les verres sont gravés au sigle de la maison, les nappes et les serviettes sont épaisses, l’argenterie lourde, les lambris chaleureux, les lustres scintillants, les effluves de cuisine enivrants et les vestes blanches du personnel impeccables comme leurs épaulettes dorées. Pas de doute, nous sommes bien dans une brasserie de luxe et chargée d’histoire… La grande gentillesse du personnel est à souligner et cela commence par l’accueil de Monsieur Luis, attentif à chaque détail. À table, Naji a veillé à ce que tout le dîner se passe bien de l’apéritif jusqu’au dessert, sans se départir un seul instant de son grand sourire.
Des entrées typiquement bruxelloises.
Miguel m’accompagne une fois encore et il a opté en entrée pour les Croquettes de volaille, sauce Madère (14,75 €). La présentation est simple, efficace et très appétissante. Deux superbes boules dorées ressemblant à d’énormes truffes trônent sur l’assiette frappée aux Armes de Bruxelles, à côté d’un petit poêlon en cuivre. Dans celui-ci, une savoureuse et corsée sauce au Madère. Pas trop du spiritueux cependant, pour ne pas tuer le parfum corsé du jus de volaille qui est manifestement la base de cette sauce onctueuse. Elle est lisse et brillante, ce qui donne envie d’y plonger une bouchée de croquette. Respectant son appellation, ça « croque » à souhait et la croûte, assez épaisse pour assurer une mâche agréable, se brise dans un joli bruit… l’appareil est parfait. La volaille est réduite en très fins morceaux et il y en a ! On est loin des farces « parfumées à… » et ça fait plaisir. Tous les produits sont frais et cuisinés dans la maison. Le goût de la volaille reste subtil et la croûte ne le « tue » pas, malgré sa belle couleur. Ça croustille d’abord et fond ensuite dans la bouche, la sauce apportant la douceur qu’on en attend. Une belle réussite… Pour accompagner les plats signatures que nous avons choisis, soigneusement concoctés par le Chef Cédric Callenaere, nous décidons d’accompagner l’ensemble du repas d’un beau Pouilly-Fuissé 2016 de la Maison Joseph Drouhin (60 €).
Pour ma part, je ne pouvais en aucun cas rater le plat que Kevin Vanlancker en personne m’avait conseillé et j’ai donc goûté la fameuse Salade tiède de langues d’agneau et vinaigrette à l’échalote, encore un plat signature de la maison (15,50 €). Le fils de la maison avait bien raison : c’est une tuerie et j’aurais sincèrement regretté de ne pas y plonger ma fourchette ! Une fois de plus, le dressage est simple, mais élégant. Les langues finement émincées se font discrètes sous une épaisse et très crémeuse vinaigrette à l’échalote et à la ciboulette fraîche… Attention, l’assiette est très généreuse. Le vinaigre ne prend pas la bouche, mais on le sent clairement sur les papilles et il donne à cette entrée un côté très frais malgré la douce tiédeur de l’ensemble. La cuisson des petites langues est parfaite et elles sont tendres à souhait. Un peu de salade accompagne tout cela et l’équilibre des saveurs est impeccable. C’est encore un bel exemple de recette de brasserie, qui plus est typiquement bruxelloise !
Nous avons misé sur les poissons : sole et turbot…
Pour une fois, Miguel a boudé les viandes rouges dont il est friand et porté son choix sur un superbe Turbot grillé sur l’arête, beurre Maître d’hôtel (48,50 €). Je me répète, mais pour les amateurs de belles brasseries il est important de ne pas voir sur la table des dressages trop compliqués et délicats… C’est à nouveau simple, efficace, coloré et l’assiette donne envie dès sa présentation. La pièce de turbot est de très belle taille, comme l’ensemble d’ailleurs. Verdure et tomate apportent la petite touche de couleur qui font qu’un plat est agréable à l’œil, tout comme le joli marquage de la grillade sur la peau du poisson. La saveur grillée est puissante, mais ne supplante pas celle du turbot dont la cuisson est évidemment impeccablement réussie. Le Chef Cédric Callenaere sait y faire ! La chair nacrée se détache rien qu’au regard et elle fond littéralement en bouche. Le beurre Maître d’hôtel est frais et fait maison évidemment, équilibré entre l’ail et les fines herbes. Le beurre est frais, savoureux et son délicat goût fermier persiste au-delà de l’assaisonnement pourtant corsé. C’est tout ce qu’on attend.
Fidèle à mon amour pour les soles, j’avais bien entendu jeté mon dévolu sur un autre plat signature des Armes de Bruxelles : les filets de Sole de la mer du Nord maison, mais une étrange confusion de commande m’a amené une Sole de la mer du Nord Bonne Femme (38,50 €)… dans une version que même le chef ne connaissait pas. Je vous narre la mésaventure car je n’ai pas l’habitude de vous raconter des bobards. J’ai aujourd’hui même parlé avec le chef et nous en avons plutôt ri. Ceci étant dit, je n’ai pas eu beaucoup de regrets, mis à part celui de l’absence des fruits de mer et du homard dans la garniture. Le poisson était ici servi entier et recouvert d’une généreuse couche de fromage fondu gratiné, accompagné de petits champignons, d’une sauce au vin blanc savoureuse et veloutée, le tout parsemé de fines herbes… L’ensemble était un peu trop consistant pour mon petit appétit, mais les goûts étaient au rendez-vous, tout comme une cuisson parfaite de la sole, dont la chair se détachait avec une facilité déconcertante de l’arête centrale.
Le mystère demeurera entier quant à savoir comment et pourquoi une couche de fromage gratiné s’est retrouvée sur mon poisson, mais je vous mets tout de même ici en illustration la vraie version, telle que vous la dégusterez si vous commandez la véritable Sole Bonne femme. Légèreté assurée sans le gratiné… Je devrai donc essayer mes filets lors d’un prochain passage car je suis bien décidé à vous présenter cette recette emblématique des Armes, que je veux vous faire absolument vous faire découvrir, ainsi que son accompagnement qui font saliver rien qu’à la lecture de l’intitulé ! Tout comme celui de Miguel, mon plat était bien sûr accompagné de superbes frites fraîches, incontournables, croustillantes, fondantes et délicieuses… Comment imaginer qu’elles soient absentes de la table d’une grande brasserie bruxelloise, qui plus est quasi centenaire ?
Des desserts belgo-belges… un feu d’artifices de souvenirs d’enfance !
Pas de doute, on est bien à Bruxelles ! D’ailleurs, nulle part ailleurs au monde on ne trouverait à la carte une Crème Brûlée aux Cuberdons (9,50 €)… Pour ceux qui ne connaissent pas cette merveille de douceur bien de chez nous, le cuberdon est une friandise en forme de cône, dont le nom vient de « cul de bourdon ». L’extérieur est fait de gomme arabique violette quasi solide et l’intérieur est une gélatine à base de framboise. Aujourd’hui on en trouve de toutes les saveurs et couleurs, mais le violet est le seul traditionnel et original. La crème brûlée arrive encore en flammes sur la table et elle dégage des effluves de cuberdons qui replongeraient n’importe quel belge en enfance ! C’est notre équivalent de la Madeleine de Proust… La croûte du dessert est craquante et il faut un coup de cuiller sec pour la briser. La texture de l’appareil est un peu plus liquide que celle d’une crème brûlée classique, mais c’est la saveur du cuberdon qui en fait toute la magie !
Et enfin, nous n’avons pas résisté à l’envie de goûter à la célèbre Crêpe Comédie Française flambée en salle, Mandarine Napoléon, glace vanille (12,25 €). À elle toute seule elle est un spectacle, puisqu’elle est préparée devant tous les clients. Je vous assure que le « oh » et les « ah » fusent de tous côtés, au moment où s’élèvent des flammes de près de deux mètres de haut qui lèchent le plafond. Ce soir-là, Dimitri était au flambage et il a eu un sacré succès ! Les saveurs de la crêpe maison, de la liqueur parfumée à l’orange qu’on retrouve aussi en zestes sur ce beau dessert, sont une explosion de saveurs sucrées tandis que l’alcool perd beaucoup de son goût prononcé au flambage, pour ne laisser qu’un agréable parfum orangé… Une belle clôture pour ce dîner qui m’aura permis de retrouver les Armes dans leurs plus beaux atours et à nouveau parées aussi de tous ses atouts !
Pour conclure et comme à mon habitude, j’ai fini par un expresso parfait et bien serré, ainsi qu’un Irish Coffee très bien réalisé, qui a ponctué cet excellent dîner. Les Armes de Bruxelles ont rouvert leurs portes depuis à peine deux semaines et il est déjà impératif de réserver au moins un jour à l’avance ! C’est entièrement mérité et les Vanlancker semblent sur la voie royale pour rendre définitivement ses lettres de noblesse à cette vénérable institution située juste en face de Chez Léon, ce qui facilite sûrement leurs déplacements. Après une triste période, voilà une maison prestigieuse qui retrouve le brouhaha d’une clientèle bavarde et joyeuse, les bruits de vaisselle et du service, la chaleur d’une ambiance toute bruxelloise et le plaisir manifeste d’un personnel heureux de reprendre le travail. Allez y donc faire un tour, vous ne le regretterez pas… Soit vous la découvrirez, soit vous la retrouverez plus flamboyante que jamais ! Vous pouvez désormais découvrir aussi la salle Brasserie, moins classique que la Rotonde et fort chaleureuse… une autre manière de découvrir « Les Armes ».
Notation : 4 Marcus
(1 = moyen – 2 = correct – 3 = Table de qualité – 4 = table de grande qualité – 5 = Table d’exception).
Site officiel : www.auxarmesdebruxelles.com