Il y a de vrais moments de grâce gastronomique, dont on se régale autant moralement que gustativement. Ce fut le cas dans ce restaurant, magnifique à tous égards, de la salle à l’assiette en passant par le personnel. Certains l’oublient, mais c’est aussi une équipe qui fait d’un dîner un moment parfait et on ne cite que rarement les membres d’un personnel impeccable. Avant donc de parler du Chef Renaud et de son éblouissante cuisine, je tiens à remercier Maxime, Maurizio, Fabrice et Océane, dont les sourires et la compétence ont largement contribué à faire de ce dîner un de ces moments si précieux. Pour le reste, on est ici dans une Maison où le chef d’orchestre chatouille les étoiles, les vraies.
En apéritif, le très compétent et souriant Maurizio (dont nous découvrirons les audaces plus tard) nous surprend d’emblée avec une coupe de champagne Autréau brut, qui nous met une petite claque. Très frais, il révèle des arômes de fruits et une légère acidité qui vient nous titiller les papilles, nous souhaitant bon appétit avec presque de l’humour. Notre sommelier, voyant que nos choix à la carte étaient faits, nous demande si nous lui faisons confiance pour un vin blanc que nous désirons afin d’accompagner l’ensemble du repas. Facétieux et savourant à l’avance son triomphe, il nous présente une bouteille de Monte del Frà, Cà del Magro 2014 (36 €). C’est un surprenant et digne représentant de son appellation contrôlée italienne Custoza. Dès la première gorgée, il nous donne une véritable pichenette pleine d’agrumes, pour la plus grande satisfaction de Maurizio devant notre air étonné. Mais la flûte de champagne nous tend les bras en attendant et pour l’accompagner, un délice noir vient se poser discrètement sur notre table. C’est un petit cake aux olives et à la truite fumée, qui nous déclare l’amour de l’endroit pour les belles et bonnes choses… Nous sommes déjà certains que ce repas sera une symphonie de saveurs !
L’allegro des amuse-bouche… Si le chant des sirènes ressemble à ça, je plonge !
Serge, qui m’accompagne ce soir-là et que vous découvrirez prochainement au travers des méthodes de bien-être qu’il pratique, semble autant sur un petit nuage de volupté que moi, dans cette salle élégante et feutrée. L’allegro des mises en bouche débute avec un subtil et coloré carpaccio de cabillaud au jus de betteraves rouges, huile de noisettes et copeaux de pecorino, que relèvent judicieusement deux pointes de roquette et quelques croûtons dorés. Ca frémit en bouche, c’est rafraîchissant… c’est moelleux et croustillant en même temps… Que dire de plus, si ce n’est « encore » ?
Et nous sommes exaucés, puisqu’en avant-première nous avons le privilège de découvrir un aperçu d’une entrée qui sera à la carte dès cette semaine : une surprenante quenelle de brochet et sa sauce Nantua. Tout bonnement le « petit Jésus en culotte de velours », comme disait ma grand-mère ! C’est fin et corsé, c’est lié et aérien, légèrement mousseux… gageons que c’est une entrée qui aura du succès. En tout cas, elle me rappelle les parties de pèche aux écrevisses le long des canaux de la région tournaisienne et les souvenirs d’enfance, ça fait toujours chaud au cœur…
L’andante des entrées… Nous sommes toujours dans la musique des anges.
Serge a choisi le très beau Millefeuille au Tartare de Thon, aigrelette d’agrumes, salade Fregola Sarda (petites billes de pâte roulée, venant de Sardaigne) à 24 €. Non seulement c’est magnifique (nous avons perdu du temps pour faire la photo et le millefeuille était à l’origine parfaitement droit – NDLR), mais le croustillant chante lui aussi et les feuilles de brik sont cuites d’une manière qui m’a été dévoilée, mais que je ne trahirai pas. Sachez juste que c’est étonnant… Le thon lui, est coupé dans les règles de l’art, ni trop fin ni trop épais et quelques perles de citron yuzu viennent redonner un petit coup de fouet à l’ensemble. L’équilibre est parfait et la quenelle de caviar Avruga apporte une petite note iodée et douce. C’est une œuvre d’art…
Pour ma part et en grand amateur de foie gras, je n’ai pu m’empêcher de céder à la Terrine de Foie Gras de Canard maison (28 €). Non seulement mon assiette est magnifiquement graphique mais en plus, la portion est franchement généreuse. Le Chef Renaud me l’a confirmé, j’ai la balance dans l’œil… 60 grammes ! Je ne suis pas très amateur de chutney, parce que je les trouve souvent très sucrés. J’aime trop le foie gras et le caractère puissant du canard, pour le marier à des saveurs trop douces qui à mon sens le déséquilibrent. Pas de toast brioché pour moi donc, mais pourtant je me délecte purement et simplement du chutney de poires au safran… une première ! Cette terrine est tellement réussie que j’avoue l’avoir dégustée sans le moindre morceau de pain frais, ce que j’adore en général. C’est généreux et parfait, ce qui n’est pas si courant.
Les grosses pièces sont le menuet de notre symphonie…
Les ris de veau… ce n’est pas toujours facile quand on n’a jamais goûté, mais personnellement j’en suis très friand, même si j’ai déjà vécu quelques déceptions. Je prendrai donc les Escalopines croustillantes de Ris de Veau aux morilles (38 €). Légèrement croustillantes elles le sont et c’est une promesse tenue. L’intérieur est tendre à souhait, cela fond en bouche. Les morilles sont cuites avec justesse et ne rendent pas une goutte d’eau, leur jus corsé est épatant. On devine le vin jaune dans la réduction et un soupçon de Cherry vient raviver le tout, c’est encore une fois d’une justesse absolue et les pommes Dauphines sont du même acabit. Si je devais faire une toute petite remarque, ce serait sur le dressage des plats principaux qui est un léger cran au-dessous de la perfection graphique des mises en bouche et des entrées. Mais gustativement la symphonie se poursuit avec la même musicalité !
Serge lui, a décidé de goûter au Blanc de Turbotin et crevettes grises de nos côtes, Wok de légumes frais et Mousseline au Riesling (33 €). La cuisson du poisson n’est même pas à relever tant elle est réussie et les légumes sont légèrement croquants, sans être durs sous la dent. Une saveur nous intrigue, qui vient souligner le plat, subtilement mais avec caractère… nous saurons plus tard qu’il s’agit de noisettes « fleur de Cazette », venant tout droit de Bourgogne. Un petit cube rouge nous étonne aussi et c’est un cromesquis de crevettes grises de nos côtes, pané au paprika et tandoori masala (disponible en entrée dans sa version aux couleurs nationales – noir, jaune, rouge – si vous y ajoutez celle à l’encre de seiche et la jaune classique). Rien à dire sur la purée fine et goûteuse, ni sur le parfait miel de tomates qui apporte une petite douceur légèrement acidulée. Encore une fois l’ensemble chante à la perfection, aucune fausse note.
Le rondeau final prend la forme d’une dame blanche déstructurée.
Serge, grand amoureux du sucré, a fondu pour une Dame Blanche (11,50 €). Évidemment, elle n’arrive pas dans une coupelle en verre et surmontée de crème fraiche à la bombe… C’est un très élégant dessert et la Dame se retrouve déshabillée, déstructurée, mais parée de sa vanille de Tahiti. La Chantilly est veloutée à souhait et le chocolat chaud est pur et corsé, comme l’aiment tous les belges. Le biscuit au chocolat et noisettes apporte la petite touche de croquant qu’on attend de chaque dessert… à nouveau on tutoie le parfait, tout en restant dans la simplicité et c’est aussi cela qui fait un grand chef !
En fin de soirée et avant de quitter les lieux, nous tenons à saluer ceux qui ont contribué au plaisir de ce moment. Maurizio nous a régalé de ses vins et de son sourire. Tout aussi souriant et assez coquin, Maxime nous a principalement servi avec élégance et efficacité, parfaitement aidé de Fabrice qui, en prenant les commandes a prouvé toute sa connaissance de la carte. Quant à Océane, elle nous a apporté la petite touche de féminité et de douceur que demande une maison de ce niveau. Bravo à eux et merci.
Mais je ne peux conclure sans évoquer le Chef Rocky Renaud. Il a un talent immense et en discutant avec lui, comme il le fait avec chaque convive qui le réclame d’ailleurs, on ressent toute sa passion pour son métier. J’ose à peine évoquer la toute récente perte de son étoile, après 17 ans de firmament… tant c’est honteux et incompréhensible. Et on le voit aussi triste de cette décision, surtout qu’il n’a pas reçu la moindre justification. Alors, messieurs du Guide Michelin… si vous donnez et enlevez à loisirs ces étoiles dont vous êtes si fiers, la moindre des choses serait de donner une explication à un chef (portant tout de même la veste des Maîtres Cuisiniers de Belgique) qui lui aussi, je vous le rappelle humblement, fait votre réputation et donc votre salaire. N’oubliez pas qu’en enlevant ce symbole à une Maison, vous risquez aussi de priver des gens de leur travail… espérons donc que vous ayez conscience de cela. Le Chef Renaud mérite largement que vous lui rendiez très vite la sienne, pour rattraper cette faute de jugement, au regard d’autres tables qui gardent les leurs… pourtant pas toujours convaincantes. De notre côté, à l’exception de la toute petite faiblesse de dressage des plats principaux, nous avons fait un voyage aux confins de la perfection et nous l’assumons ! Je me suis permis de vous écrire à ce propos et j’espère sincèrement que d’autres convives, qui auront aussi vécu un moment d’exception au Passage, feront de même, juste pour vous rappeler que nous faisons tous le succès d’une maison… mais un chef ne perd pas son talent subitement, après 17 ans de reconnaissance. Puissiez-vous vous réveiller rapidement…
Notation : 5 Marcus
(1 = moyen – 2 = correct – 3 = Table de qualité – 4 = table de grande qualité – 5 = Table d’exception).
Site officiel : www.lepassage.be