Depuis toujours, quand on choisit un restaurant on recherche la qualité… mais aujourd’hui, on aime aussi savoir « d’où ça vient » ! Alors, chez Tero de Bruxelles (une maison déjà installée à Bierges depuis trois ans), l’avantage est qu’on est certain de l’origine d’un maximum de produits. Vous me direz : « ben oui, ils achètent chez de bons fournisseurs », ce à quoi je vous répondrai tout de go : « non, ils produisent dans leur ferme un maximum de choses » … Et là, ça devrait normalement vous en boucher un coin, car ce « luxe » est en général réservé à quelques chefs étoilés, qui ont la chance de posséder leur potager, jardin aromatique ou maraîchage. Eh bien, Tero c’est aussi la ferme des Rabanisse à Rochefort, en Famenne ! Oui… le personnel des deux restaurants n’est pas seul, il y a aussi celui de la ferme et je tire mon chapeau (de paille) à la démarche. J’ai donc essayé et j’approuve avec enthousiasme ! Le Tero de la capitale est ouvert il y a quelques mois seulement et c’est plein. CQFD…
Honnêtement, j’avais pas mal entendu parler du Tero. Donc, mes confrères et consœurs avaient déjà fort bien travaillé. Mais, vous le savez… j’aime vérifier les choses par moi-même, surtout quand on parle gastronomie ! J’ai choisi la douce Anaïs pour m’accompagner et j’ai bien fait car elle adore le bio, les légumes et les produits frais. Nous sommes venus, nous avons vu et avons été (con)vaincus, à la fois par la qualité de la table et la gentillesse, l’efficacité, la disponibilité et la discrétion d’une brigade de salle au top. Vous ne l’ignorez pas, tout ce qui se passe autour de la table m’intéresse… et nous inaugurons une petite nouveauté avec le Tero. Vous trouverez juste avant ma notation finale « les trois mots de la table d’à côté ». Je demande à mes voisins de résumer simplement et en trois mots, leur expérience du moment dans l’établissement que nous partageons pour un soir… Vous verrez, c’est vraiment intéressant et ça vous offre un regard de plus, enfin deux en l’occurrence.
De la ferme à l’assiette… le sourire en plus : une démarche remarquable.
Chaque fois qu’on me parlait du Tero, c’était pour m’en vanter les qualités bio, bio, bio, vegan, vegan, vegan et encore bio–vegan, ce qui a tendance à me hacher les nerfs menus-menus, je l’avoue ! Je m’attendais donc à me retrouver dans une espèce de ZAD (zone à défendre, genre Notre-Dame-des-Landes – NDLR), servi par des extrémistes de l’agriculture bio en salopette et chapeau de paille (je sais, c’est cliché, mais c’est ça la bêtise), un brin de blé à la bouche. Moi, quand on répète cent fois le mot bio, je ne suis plus très enclin à y croire. Trop, c’est souvent trop, tout simplement. Eh bien, je dois dire que je me suis tout de suite senti en terrain de sincérité et non pas en friche d’une démarche mal maîtrisée. Pour commencer, l’endroit est superbement décoré, de manière sobre et élégante à la fois. Beaucoup de bois, sur les chaises un tissu « sixties-intemporel-Chanel », de grands espaces, des plantes, un superbe bar minéral et de la place entre les tables carrées en bois. Arthur nous accueille : jeune, charmant et enthousiaste. Pas revendicateur ni militant. Non… ici, on est juste heureux d’assumer une démarche gastronomico-agricole, de servir un projet qui tente de mettre à table un maximum de produits bio, mais sachant (et le reconnaissant) sans complexe : on ne peut pas proposer en hiver une tomate juteuse et belge. Car il y a donc aussi une exploitation agricole ! Et à la ferme des Rabanisse, on cultive un maximum de légumes pour les deux restaurants, mais on élève aussi du cochon Duroc (race rustique et parfaitement adaptée à l’élevage extérieur) et des vaches Salers, originaires de la superbe région française d’Auvergne (de la qualité quoi) qui se retrouvent dans votre assiette, sous formes de belles pièces de viande. Arthur semble assez fier de son cochon, même s’il ne l’a pas encore baptisé Excalibur. Il espère pourtant bien un jour remplacer le Pata Negra de la carte par du jambon maison et l’épée aidera à le découper… Pas de mensonges, pas d’exagération… on est juste fier de ce qu’on fait et on ne revendique pas faussement ce qu’on ne fait pas. Bravo ! Ce que j’ai particulièrement apprécié : me sentir à la fois dans un grand restaurant, au cœur d’une brasserie moderne – chic et… à la maison. Un très savant mélange qui est, à mon humble avis de vieux coucou, le résultat de longues réflexions et ça tape parfaitement juste !
Passons à table… et partageons quelques entrées.
Avant de passer aux choses sérieuses, Arthur nous demande ce que nous voulons boire. Ah, il est donc maître d’hôtel ou peut-être sommelier… Son sourire ne le quitte pas et je vois qu’il s’amuse de mon regard étonné face à la courte carte des vins… je préfère suivre ses conseils et il m’oriente (selon mes desiderata) vers un vin blanc qui nous fera le dîner. Sages, Anaïs et moi resterons… Résultat : on nous sert un très agréable Hautes Terres, Limoux 2016 à 39 € et il a exactement le caractère coquin et rafraîchissant que j’en attendais. Concernant les entrées, il nous est conseillé de partager et c’est un peu le principe de la maison. Vous pouvez panacher les entrées et choisir des plats principaux perso, tout comme il vous est loisible de picorer dans tout, y compris les plats. C’est en quelque sorte une déclinaison du concept des tapas. Il faut dire que si la carte est restreinte, tout y est attirant. On devine des saveurs d’ici et d’ailleurs, on subodore des découvertes, mais on y sent aussi une réelle homogénéité, pour ne pas dire une logique. C’est en tout cas une réussite pour une carte courte… Nous choisissons le Houmous du jour (8 €), la Salade d’algues (10 €) et le Gravlax de saumon (14 €). Le houmous est délicat et était annoncé au curry. Il y en avait en effet juste ce qu’il faut pour aromatiser une mousse délicate à base de lentilles corail, ce qui la rend plus légère que le traditionnel pois chiche et c’est très bien vu ! Pas d’excès d’épices, une belle réalisation et pour donner de la mâche à la purée fine, un peu de craquant grâce à des biscuits de graines. Ça craque sous la dent, c’est savoureux et, si on ne les dégusterait sans doute pas au petit déjeuner avec de la confiture, ils feraient de parfaits biscuits apéritifs ! Encore une agréable découverte…
Les tranches de saumon, découpées dans le pavé, sont généreuses et le poisson savoureux. La chair ferme est juste grasse comme il faut, mais surtout (ce qui n’est pas courant) sa température est fraîche sans être froide. Servir le saumon trop froid est une erreur qu’on rencontre souvent et ça lui enlève toute saveur… ici il devait être aux environs de 15 degrés, parfait. Fondant, je l’ai coupé à la cuiller, pour le tremper aisément dans une étonnante mayonnaise végétale au wasabi. C’est d’une grande finesse, la « moutarde » japonaise ne monte pas au nez comme à l’assaut d’une forteresse assiégée et elle se dévoile seulement en seconde bouche. L’estragon frais et l’aneth viennent très élégamment souligner l’ensemble d’un trait verdure. Parfaitement exécutée, l’assiette est généreuse et la quantité de mayonnaise nipponnisante est justement dosée (je suis sûr qu’on vous en apportera un supplément, si vous en demandez). Une entrée à conseiller deux fois plutôt qu’une !
Et enfin, la salade d’algues est surprenante. Nous sommes désormais habitués à la salade wakamé qu’on sert généralement avec les suchis. Celle-ci n’a rien à voir et elle est composée d’algues réhydratées, ce qui leur donne quasi la consistance d’une pâte fraîche et c’est réellement étonnant. Le sésame blanc apporte le petit côté grillé, typique à cette graine que j’ai toujours considérée comme magique et que je consomme d’ailleurs au quotidien (je vous donnerai peut-être un jour ma recette de Gomasio). Le Tamari (sauce traditionnelle japonaise au soja) apporte une légère touche asiatique… Résultat : trois entrées impeccables, dont nous n’avons pas laissé la moindre miette !
Poisson et canard, pour explorer les saveurs… et tatin de chicons pour la belgitude.
Anaïs, qui récupère encore un peu de la naissance de la belle petite Jade il y a sept mois, a choisi la légèreté d’un poisson. Comme je suis galant et même s’il me faisait de l’œil, je la laisse donc pêcher sur la carte le Filet de Bar, pickles de navet au vinaigre de riz, sauce citron vert et sésame (13 €). Il n’y aura aucune surprise concernant la cuisson du poisson, parfaitement maîtrisée, chair nacrée et tendre qui se détache aisément, peau croustillante à souhait ! Les pickles de navet sont une agréable découverte (une de plus) et restent croquants. C’est assez doux et le vinaigre de riz a la décence de se faire discret sans se déchaîner sur nos papilles (une autre habilité du chef, of course). La sauce au citron vert n’a pas l’acidité qu’on pouvait craindre à la lecture du menu, elle est crémeuse à souhait, légère, parfumée. Ici aussi, le sésame apporte sa discrète signature… l’ensemble, subtil et équilibré, donne une assiette élégante et légère, qui ne laisse pas sur sa faim. Un petit bout de pain (artisanal et croustillant) n’est d’ailleurs pas malvenu pour saucer…
De mon côté, j’attendais un peu le canard au tournant, mea culpa… Il est vrai que lorsqu’on choisit un magret cuit à basse température (14 €) et que, comme moi on l’aime rosé, on joue à peine au casse-pompons. Caramba, c’est raté… il n’y a rien à dire sinon : « félicitations ». C’est de la haute voltige et seules une ou deux gouttes de sang se sont répandues sur mon assiette, rapidement absorbées par une viande savoureuse et tendre. La peau était rôtie comme je l’apprécie et une fois n’est pas coutume, la graisse sous l’épiderme du volatile n’a pas entièrement fondu et elle décide de le faire voluptueusement sur ma langue. La bonne idée que voilà ! J’ai vécu six ans dans le sud-ouest et ce magret ne serait pas renié par le chef grilladin de la célèbre Tupina (Maison Fredon, rue Porte de la Monnaie à Bordeaux – meilleur restaurant de grillades au monde selon Gault et Millaut). La viande est restée fondante et chaude tout au long du temps que j’ai pris pour la déguster et c’est une prouesse en soi. Plutôt que classiquement accompagné d’une sauce à l’orange, le magret est soutenu par un délicieux condiment à base d’orange certes, mais aussi de Rooibos (thé d’Afrique du sud, qui ne pousse que dans les montagnes de Cederberg) dont je suis par ailleurs consommateur assidu. Presque un coulis d’orange, agrémenté d’une légère saveur de thé et d’un kumquat juste confit, pour une pointe d’acidité… c’est impeccable !
Comme je l’ai dit à Arthur au moment de passer la commande, la Tatin de chicons caramélisés me draguait ouvertement. Logique, puisque le chicon (endive pour nos amis français, à l’exception des Chtis) est de loin mon légume préféré. Sous toutes les formes, cuit ou non, j’adore tout simplement… Je ne pouvais donc pas laisser passer ça. Pas de regrets à la dégustation, mais cela ne nous a pas étonné, vu le niveau du reste. Une pâte maison, une tatin bien compacte et caramélisée comme promis (ce n’est pas toujours gagné) et surtout, l’amertume du chicon parfaitement respectée ! Ouf, pas de trahison du produit, tentant de cacher ce qui fait l’identité d’un légume d’exception. Je suis franchement ra-vi.
Finir en douceur et encore étonné… mais aussi avec un café spécial.
Nous avions encore juste la place nécessaire à un petit dessert et notre choix s’est porté sur la mousse au chocolat noir (maison évidemment). Dès la première cuillerée, je fus surpris… mais késako ? C’est parfaitement chocolat noir, c’est le moins qu’on puisse dire (un peu trop pour Anaïs, mais les choses sont clairement annoncées dans l’intitulé), c’est d’une consistance ferme et impeccable… mais ce n’est pas une mousse au chocolat comme je la connais. J’appelle Arthur, je lui pose une question, il me donne une réponse, mais je ne la partagerai ici pas avec vous, car je vous laisserai deviner ça le jour où vous dînerez au Tero. Ou bien, vous demanderez à votre tour, si vous êtes aussi curieux que moi. En tout cas, pour me surprendre avec une mousse au chocolat il fallait le faire, et nous avons conclu ce dîner sur une énième surprise, agréable comme toutes celles qui l’ont précédée !
Il y a café et café Tero…
Vous ne l’ignorez plus depuis longtemps… dans chaque maison qui me paraît de qualité, je teste l’Irish Coffee pour finir mon dîner. Mais, quand on me propose une alternative proche et alléchante, je me laisse convaincre sans beaucoup me révolter… et je découvre à la carte le Tero Coffee (10 €). La crème est réellement fraîche et ne sort pas d’une bombe de Chantilly, ne s’est pas mélangée au café ni à l’alcool et la présentation est donc impeccable. De plus, c’est servi dans un gobelet en verre à doubles parois et… on ne se donc brûle pas, le top !
En conclusion, je dois bien vous dévoiler une chose que j’avais subodorée. J’ai un peu charrié Arthur sur son prénom et évoqué le célèbre roi homonyme, ainsi qu’Excalibur, ce qu’on a dû lui faire trois millions de fois… Toujours est-il qu’il me semblait que sa « culture Tero » était fort passionnée et très approfondie… Nous avons parlé de projets agricoles (que je ne dévoilerai pas) et je me disais que c’était là un responsable de salle fort bien informé et impliqué. En fin de compte, je n’avais pas tort quand j’évoquais le Roi Arthur, puisque mon interlocuteur s’est avéré être le C.E.O, le big Chief, le parton, le boss… bref, Ze king Arthur himself et donc le concepteur de cette entreprise belge ! Sa modestie, son sourire et son sens de l’accueil, ainsi que les idées dont il a bien voulu me parler, prouvent une chose : les jeunes entrepreneurs représentent un bien bel avenir. Comme je le lui ai d’ailleurs expliqué sans savoir qui il était, j’ai rencontré cette année beaucoup d’entrepreneurs trentenaires ou quadras et nous vous les avons tous présentés : Repair Club, Dogchef, le président d’une fruitière de Comté, l’affineur Rivoire, cPark, le Guides pas sages, Kevin Vanlancker… tous représentants d’une nouvelle génération, respectueuse de ses racines et qui souffle un vent de jeunesse et de modernité. Encore une fois, c’est rassurant pour l’avenir, pas si noir que certains voudraient nous le faire croire. Arthur m’a semblé le parfait exemple de cette richesse… Aujourd’hui, entre les deux restaurants et la ferme, son entreprise pèse environ 25 emplois à temps-plein et avec les projets qu’il a en tête, je parie qu’il pourvoira encore bien des emplois. On pourrait sans aucun complexe qualifier ses restaurants de « durables », mais je ne suis pas certain que ce soit son obsession. Par contre et à mon sens, un BIB Gourmand lui ferait certainement plaisir et lui pend sans doute déjà au nez (à bon entendeur, Messieurs du Michelin) ! Quand on a autant de rigueur, d’idées et de gentillesse, on ne peut que se forger un avenir solide comme la lame d’Excalibur !
Enfin, je le disais en introduction, voici pour la première fois « les trois mots de la table d’à côté ». Mes voisines s’appelaient toutes deux Chloé et elles ont gentiment accepté d’inaugurer le principe : résumer en trois mots leur dîner, pris au même endroit et au même moment que le mien…
Les 3 mots de Chloé 1 : ÉPURÉ – FINESSE – DÉCOUVERTE
Les 3 mots de Chloé 2 : CONSEIL – ACCUEILLANT – ORIGINAL
Notation : 4 Marcus
(1 = moyen – 2 = correct – 3 = Table de qualité – 4 = table de grande qualité – 5 = Table d’exception).
Sites officiels : www.tero-restaurant.com (Infos sur les deux restaurants) et celui de la ferme des Rabanisse : www.fermedesrabanisse.com