Poivre Noir à Braine-l’Alleud : on cherche toujours le bémol !

J’avais eu l’occasion de croiser le chemin de Jean-Louis Marchal (le Chef) et de Christelle Scieur (Madame, la Cheffe de Salle), au gala des Delta Gastronomy Awards. La rencontre avait été très agréable et depuis, à force de voir de belles images sur Facebook, j’avais très envie d’aller m’asseoir à leur table ! C’est désormais chose faite. Accompagné de Miguel et Anaïs, qui me secondent souvent dans mes découvertes, je me suis rendu à Braine l’Alleud le week-end dernier. Nichée au cœur du Brabant Wallon, voici une très belle table gastronomique (cela nous en fait deux avec celle de nos amis Benoît et Claire au Rêve Richelle – Waterloo), où le rapport qualité prix est impeccable. Mais c’est plutôt le rapport prix-plaisir que j’ai envie de mettre en avant car les sens y sont en fête ! Depuis la décoration chaleureuse où le poivre a toute sa place, jusqu’aux mélanges intelligents de saveurs et au sourire de la maîtresse des lieux, tout n’est que plaisir. On n’est pas dans le démonstratif, mais bien dans le qualitatif et le talent comme la modestie du Chef sont réels. Une belle adresse, quoi…

Encore un couple diront certains… Et si justement, c’était ça qui faisait la force des restaurants dirigés par un tandem amoureux ? Nous en avons déjà eu de beaux exemples et je pense entre autres au Pottok, au Rêve Richelle et à quelques autres. En tout cas, un couple « tire » souvent dans le même sens et on ressent sa passion commune dans l’identité d’une maison. Ce ne doit pas être facile tous les jours de travailler ensemble non-stop, mais il faut écouter ce que dit Jean-Louis de Christelle en fin de vidéo pour comprendre toute l’effet positif que l’amour tout court peut avoir sur celui d’une profession. Poivre Noir est une table gastronomique, mais tout y est dans la simplicité… et dans le plus beau sens du terme : rien d’extravagant qui cacherait des faiblesses, pas de noms de plats ronflants mais qui vous endorment, de beaux dressages mais sans excès pseudo artistiques, le respect (et la maîtrise) des classiques, avec une subtile touche de modernité et de supplément d’âme.

Dès l’amuse-bouche les saveurs entrent en scène.

Pour nous mettre en appétit et titiller une première fois nos papilles, le Chef joue la carte du terroir avec un Effiloché de jambon cuit à l’os, glace à la betterave tournée minute, condiment pickles de Daikon, cornichon aigre-doux et vinaigrette à l’estragon. Le Daikon est un radis blanc qu’on peut consommer de diverses manières (cru, cuit, mariné…). Il est très utilisé au Japon et on en trouve parfois en épicerie fine chez nous. C’est un classique de la cuisine asiatique et Jean-Louis Marchal l’a ici subtilement marié à des saveurs bien de chez nous. Le jambon à l’os est moelleux, savoureux et arrive à se frayer un chemin vers le palais malgré la puissance de la délicieuse glace à la betterave rouge. Ces deux produits apportent un côté « terre » à l’ensemble, qui s’équilibre parfaitement. Les pickles de Daikon et le cornichon donnent une petite touche douce et acide qui claque un coup de peps, adouci à son tour par l’estragon en touche finale. C’est très prometteur ! En apéritif, une petite coupe bien belge de Cuvée Ruffus à 9,50 €.

Le foie gras s’acoquine avec un pain perdu.

Miguel a choisi (mais, c’est son péché mignon) le Foie gras poêlée sur pain perdu, jeunes pousses de salade. En fait, ce sont deux jolies escalopes dont la cuisson est évidemment parfaite (légèrement croustillantes et caramélisées juste aux sucs à l’extérieur, rosées à cœur). Le pain perdu rappelle de vraies saveurs de notre enfance à tous et se marie idéalement avec le foie gras de canard. Parfumé et savoureux, il demeure loin de la douceur trop sucrée des pains d’épices qu’on nous propose trop souvent. Personnellement, je savoure un foie gras avec un simple morceau de bon pain très frais, de préférence avec une belle croûte dorée et craquante. Cependant, pour ceux qui aiment l’accompagner d’une subtile touche de sucre, cette entrée avait tout pour plaire. Je ne pensais pas que la fraîcheur des jeune pousses serait à ce point agréable, c’était pour moi une première. Mon grand plaisir est de goûter à tout, privilège de celui qui écrit… Un délice !

Les crevettes s’encroûtent… à la japonaise !

Anaïs a jeté son dévolu sur d’étonnantes et séduisantes Crevettes argentines en chapelure japonaise et jeunes pousses aux saveurs d’Asie. Alors, là… on constate avec bonheur que le poissonnier est un vrai poissonnier et que tous les produits sont d’une fraîcheur absolue. D’ailleurs sur ce point, je ne suis pas au bout de mes surprises, vous le verrez. Le mariage Amérique du sud et pays du soleil levant est étonnant car on ne s’attend pas à cette petite chapelure japonisante, qui vient enrober une crevette à la chair ferme et impeccablement cuite. C’est aussi croquant que des chouchous sur une plage… Ça croustille à la perfection, c’est savoureux et on a vraiment le produit noble principal en bouche. Du coup, la panure n’est pas du tout là pour l’esbroufe comme c’est souvent le cas. Les jeunes pousses sont en salade et aussi en friture, ce qui apporte deux croquants différents, du rafraîchissement et de la surprise. Le tout est souligné par un peu de gingembre confit, d’algues wakame et de quelques graines de sésame blanc. L’ensemble est subtil et savoureux, une jolie réussite ! Côté verres, nous avons suivi les conseils de Christelle, avec un excellent Chablis Premier Cru « L’Homme Mort » la Chablisienne 2015 (55 €) et un Pinot Noir Bott-Geyl Bio 2016 (34 €).

Le maquereau d’une vie en carpaccio !

Alors ici… comment dire ? Je vous souhaite d’avoir la chance (voire le bonheur) que cette entrée soit à la carte le jour où vous découvrirez Poivre Noir. Je n’ai pas pour habitude d’utiliser des superlatifs faciles ni d’être dithyrambique sans raison, mais cette fois je ne vais pas y aller avec le dos de la cuiller : j’ai dégusté ici LE MAQUEREAU D’UNE VIE ! Et je pourrais quasi en rester là concernant ce poisson incroyable, que j’ai même demandé à rencontrer. Oui, j’aime tous les poissons, nos lecteurs habitués ne l’ignorent plus… et celui-ci était absolument parfait. J’ai eu l’impression d’avoir la mer en bouche dès la première bouchée. La chair était finement coupée au couteau, savoureuse et divinement relevée par la coriandre fraîche qui lui apportait un sourire presque divin, comme à moi. Un filet d’huile, le savoir-faire du chef pour équilibrer l’ensemble et je me suis retrouvé tout con, tombé amoureux d’un maquereau ! Je n’en rajouterai pas car il n’y a rien à dire de plus quand c’est aussi parfait et d’une simplicité absolue…

Solette, langoustine et champignon font la fiesta.

Anaïs avait décidé d’en rester aux produits de la mer après ses croustillantes crevettes… et a donc choisi les Solettes et leur sauce béarnaise à la langoustine, pommes grenailles et légumes de saison. Deux jolis poissons blondis au beurre, cuisson irréprochable et chair qui se détache rien qu’en la regardant… c’est déjà un réel plaisir (en version grande taille, les soles de Chez Léon à Bruxelles sont aussi une tuerie), mais quand un bon poisson est relevé par un beau crustacé, une sauce et des champignons, on nage dans le plaisir. Quelque chanterelles rappellent à la mer qu’avec la terre elle se marie très bien, une béarnaise montée au jus de langoustine relève l’assiette d’une saveur corsée originale crémeuse et enfin une demoiselle, à la queue cuite nacrée et ferme, vient serrer la pince aux solettes et c’est tout simplement savoureux ! Les pommes grenailles apportent la texture dont on pourrait craindre que le poisson ne manque… encore une fois, c’est équilibré et intelligent, tout comme la portion de salicornes fraîches qui viennent souligner tout ça d’une douce vague d’iode.

Le canard rougit de plaisir, jusqu’à la cuisse.

Pour Miguel ce sera aussi la continuité, puisqu’après le foie gras il poursuit avec un Canard sauvage en deux déclinaisons, son filet au poivre de Pondichéry et sa cuisse confite, gratin dauphinois, poêlée de champignons blonds de Paris, feuille de chou rave frit. On ne retrouve pas souvent le canard sauvage à la carte et c’est un réel plaisir de le voir arriver sur la table. L’assiette fait envie dès qu’on vous la met sous les yeux… Le jus corsé au poivre de Pondichéry est digne des sauces de grandes maisons, la cuisson du canard est parfaite, c’est tendre et goûteux. La cuisse confite nous épate parce que d’habitude c’est très sec et gras en même temps, alors qu’ici la cuisson a laissé une chair intacte, tendre et savoureuse sans provoquer en bouche une sensation grasse qu’on n’aime pas. Le moelleux du gratin dauphinois est épatant et nous fait donc échapper à une préparation qui est souvent trop sèche. L’assaisonnement est équilibré et cela aurait plu à mon grand-père Maître-Queux ! Cette assiette a rendu Miguel très heureux… Les champignons amènent une saveur terreuse qui va parfaitement avec la viande et la feuille frite de chou rave ponctue cette touche terroir avec caractère.

Les moules de Bouchot mettent le turbo(t)…

Comme Anaïs, j’ai décidé de rester sur les produits de la mer et jeté mon dévolu enthousiaste sur un succulent Turbot poêlé aux moules de Bouchot de la Baie du Mont Saint-Michel (AOP), mousseline au jus de moules, légumes de saison et pomme dauphine. Je m’attendais à me régaler et une fois de plus, j’ai eu la confirmation que Jean-Louis Marchal sait choisir à la fois son poissonnier et son poisson ! Est-il vraiment nécessaire de souligner encore la justesse des cuissons ? C’était impeccable, tant pour les moules (d’une saveur que je trouve assez rare pour des bébêtes française) que pour le turbot. J’aime ce poisson noble pour sa chair moelleuse, ici parfaitement relevée par la sauce mousseline montée au jus de moules, salée juste comme il faut. Le morceau est généreux et la taille de cette assiette a de quoi satisfaire les plus gourmands appétits. Cette générosité se retrouve ici dans tous les choix, de l’entrée au dessert ! Quelques haricots verts et mange-tout apportent un petit croquant bienvenu et l’ensemble de ces saveurs de mer, de terre et la petit pomme dauphine à la cuisson très réussie me comble d’aise. Je ne regrette pas mes choix très poissonneux de ce soir et reste sur une superbe impression… puisque, comme souvent je ne prendrai pas de dessert, pour finir sur mon traditionnel Irish Coffee (7,50 €).

Une crème brûlée presque classique, mais métissée.

Miguel n’a jamais rien eu contre une douceur pour terminer un bon dîner et il s’est laissé tenter par la Crème à la vanille de la Réunion, brûlée à la cassonade. Sur les bases d’un classique parmi les classiques, Jean-Louis Marchal colle une petite couche d’inventivité de son cru, mâtinée de belgitude grâce à la cassonade et de tropiques avec la vanille de la Réunion… C’est un réussite créative sous ses airs de rien, en plus d’être particulièrement bien réalisée. J’ai fait craquer la couche de sucre d’un coup sec de cuiller et la crème s’est révélée satinée et moelleuse. J’avoue sans vergogne que j’aurais bien avalé la moitié de ce dessert, pour ensuite faire de même avec les figues qui me faisaient sacrément de l’œil !

Des figues à vous faire rôtir de plaisir…

C’est souvent au dessert qu’on mesure le talent d’un chef, lorsqu’il n’a pas de second spécialisé en la matière… Et Poivre Noir cache ses cartes jusqu’à la fin du dîner, pour abattre un dernier atout qui vous laisse baba (sans rhum) ! Anaïs a eu l’excellente idée de choisir les sublimes Figues rôties et leur glace au romarin tournée minute sur biscuit d’amandes… une tuerie, je n’ai pas d’autre mot. Les fruits sont moins cuits qu’une compotée, encore fermes mais tendres à souhaits. Le biscuit maison est savoureux et l’amande vous titille les papilles à la première bouchée, tandis que la glace au romarin est d’une subtilité étonnante. Avec la puissance de cet aromate qu’on trouve plus qu’à son tour dans les cuisines provençale et italienne, je craignais un peu qu’elle prenne le dessus. Mais, une fois de plus, le chef prouve tout son talent d’équilibriste des arômes. Comme un funambule il se balade sur le fil des saveurs, toujours tendu jusqu’à vous amener aux plaisirs aussi simples que complexes de la (très) bonne cuisine. Ce dessert est digne des grandes tables…

En résumé, la découverte de Poivre Noir est une des superbes trouvailles de cette année ! Jean-Louis Marchal et son épouse Christelle Scieur sont à la tête d’une table réellement gastronomique, toute en classe et en simplicité. Le Chef, bien que modeste en diable, a un sacré talent et est capable aussi bien de se faufiler dans les méandres des recettes les plus classiques que de composer ses propres partitions, modernes et inventives. Cela donne à un dîner le rythme qu’on attend d’une maison digne de ce nom et si nous lui accordons 5 clics, donc la note parfaite, ce n’est pas parce qu’elle l’est (tout est perfectible) ou qu’on y asse une soirée comme dans un trois étoiles Michelin et… justement ! Vous passerez ici un moment de bonheur gustatif autant que vous serez reçu avec gentillesse et surtout compétence. Les entrées étaient toutes à 18 € (hors supplément éventuel) et les plats à 28 € (hors supplément). Enfin, les desserts s’affichent tous à 10 €. Je vous livre un petit secret, mais ne me trahissez pas… Le Chef vous offrira toujours un petit amuse-bouche à sa façon. Quant aux conseils de Christelle, ils fleurent bon la passion et la maîtrise totale de sa carte comme de sa cave. Le lien entre elle en salle et son chef de mari en cuisine est tendu comme une corde de violon… et cela fait une sacrée belle musique ! En un mot comme en cent : n’attendez plus. Poivre Noir sera pour vous aussi une belle découverte, je vous le garantis !

Notation : 4 Marcus
(1 = moyen – 2 = correct – 3 = Table de qualité – 4 = table de grande qualité – 5 = Table d’exception).

Site officiel : www.poivrenoir.be

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