J’ai tenu à laisser passer du temps, à permettre à l’agitation médiatique et publique de se calmer, à la sérénité de revenir et au chagrin de ses proches et des équipes de Chez Léon et des Armes de Bruxelles, qu’il aimait tant et que le lui rend(ai)ent bien, de s’apaiser ! Quand les hommages, mêlés à une certaine curiosité que je n’aime pas se multiplient, que la disparition d’un homme devient une sorte de chronique mondaine, que tout le monde pense devoir en parler pour avoir l’air à la page… je me sens mal à l’aise et je me recroqueville dans le silence. Surtout, que ceci ne soit pas pris pour un reproche envers qui que ce soit. C’est simplement ma manière très personnelle de réagir au phénomène « scoop ». Puis, Rudy Vanlancker m’en a assez donné du « scoop », à chaque fois qu’il le pouvait et je lui en saurai toujours gré…
Je ne peux pas dire que Monsieur Rudy était un ami proche, même si nous nous tutoyions depuis quelques années. Il était pourtant bien plus qu’une connaissance, plus qu’une relation. La dernière fois que ma mère est rentrée des États-Unis, il avait vu la nouvelle passer sur mon mur Facebook et m’avait envoyé un discret message : « j’ai vu que ta Maman rentre bientôt, je vous invite elle et toi aux Armes, pour vous retrouver ». Je me souviens d’interviews incroyables, dont une en vidéoconférence, tout au début du confinement. Il tenait son téléphone sur son genou et agitait celui-ci sans cesse. Résultat : une interview sautillante, faite du mélange de son incroyable sourire et de sa légendaire colère qui, en fait n’était que passion. J’ai pas mal d’autres souvenirs de Rudy dans ma besace et je les garde précieusement au fond de mon cœur. Il y a des gens comme cela, qu’on rencontre et qu’on aime d’emblée, parce qu’ils sont aimables… Rudy Vanlancker était de ceux-là. Je ne pense pas qu’il ait rejoint les étoiles… il ne peut faire désormais partie que du soleil !
Le 2 mars dernier, je vaquais à mes occupations lorsqu’une amie me téléphona pour m’annoncer ce qu’elle appelait la terrible nouvelle… Ce ne fut pas une nouvelle, juste une énorme chape de béton qui me tomba sur la poitrine : « Rudy Vanlancker n’est plus » ! Jamais je n’avais ressenti une telle émotion à l’annonce du grand départ d’une personnalité publique que je connaissais. Durant deux jours, j’ai été incapable de travailler, de réfléchir efficacement et d’ailleurs, je me foutais de l’efficace. Avant même d’avoir réellement pris conscience du fait qu’il n’était plus, j’ai pensé à son fils Kevin et à sa belle-fille Géraldine, dont je me sens proche et pour lesquels je nourris une amitié sincère depuis une certaine soirée anglaise où nous avons parlé pour la première fois, réunis par Murielle Malalel, que je sais profondément touchée depuis ce douloureux 2 mars 2022. J’ai pensé aussi à son épouse Nadine, à ses autres enfants que je connais moins, et je ne savais trop comment réagir. Faut-il appeler ? Sûrement pas, ils doivent être trois cent à essayer… Faut-il écrire ou envoyer quelques fleurs ? Faut-il envoyer un message ? Ça j’ai fait, très court, juste quelques mots car il n’y en a aucun qui soit intelligent dans ces moments-là…
Je savais juste que je voulais allumer une bougie et adresser un petit mot à Rudy, juste pour lui souhaiter bon voyage. Je l’ai fait chaque matin durant trois jours et quand j’ai mis le feu à la dernière, j’allais mieux. Pas encore bien, juste mieux. Je pris soudain la mesure du vide immense que l’absence de Rudy Vanlancker allait laisser dans le cœur des siens, des équipes des Armes de Bruxelles et de Chez Léon, des habitants et commerçants de l’îlot Sacré, dans celui de nombreux bruxellois et de belges… Oui, Rudy était un monument bruxellois, un cœur battant de Bruxelles, un sourire dont la capitale rayonnait, ses restaurants ont marqué bien plus d’un siècle de notre gastronomie traditionnelle, sa passion pour son personnel en a fait une icône de respect et d’empathie… Rudy, c’était un mec bien !
Je ne me suis pas rendu à la chapelle ardente dressée le matin du 8 mars devant Chez Léon, trop de bla-bla, de brouhaha, de chagrin cumulé, de rumeurs et de questions parfois saines et parfois pas. Ce n’était pas pour moi. Avec une amie, je me suis rendu au cimetière d’Uccle, où la grande salle du crématorium ne l’était pas assez pour accueillir tout le monde. Il y avait un magnifique soleil je me suis dit que c’était bien car le voir partir sous pluie aurait rendu les choses encore plus tristes. Pour la cérémonie, j’avais trouvé une petite place juste derrière les bancs, face au cercueil de Rudy, recouvert de sa veste de cuisinier et entouré de fleurs… Tout était sobre et digne, depuis les mots de Nadine, son épouse, jusqu’à ceux de ses enfants. J’ai entendu beaucoup de respect et d’affection dans les propos d’un syndicaliste, étonnamment venu faire l’éloge d’un patron. Cela aussi était fidèle à Rudy… Il y a eu quelques rires légers à l’évocation de souvenirs du délégué syndical. Et j’ai retenu toute la douleur sur le visage et dans la voix de Cédric Callenaere, Chef des Armes de Bruxelles auquel Monsieur Rudy avait lancé un incroyable défi, qu’il a relevé avec panache. Je n’en dirai pas plus sur une cérémonie dont je retiens aussi que Kevin Vanlancker, avec pudeur et même humour parfois, a coupé court à toutes les rumeurs et questions : « Je suis prêt pour prendre le relais des restaurants, mais je n’étais pas prêt à perdre mon père ».
Rudy était un sacré bonhomme et son sourire illuminera longtemps la rue des Bouchers… Longue vie à Léon et aux Armes de Bruxelles, assurément en de bonnes mains !
La semaine prochaine, vous retrouverez un article sur les Armes de Bruxelles et l’interview complète du Chef Cédric Callenaere, dont j’ai décidé de ne vous présenter qu’un extrait ci-dessus. Il devait paraître le 2 mars et j’avais décidé de le reporter. Continuez à soutenir les deux restaurants…
Aux Armes de Bruxelles : www.auxarmesdebruxelles.com
Chez Léon : www.chezleon.be
Photos © Luc Viatour, Chez Léon, Réginald Mazy